Alfred de Grazia - origines et débuts
la famille paternelle (de Grazia - Lainè)
Sebastiano retourna à Licodia Eubea et y exerça le métier de forgeron. On sait peu de sa femme, qui était originaire de Vizzini, si ce n’est son nom de famille: Lainè - un nom qui remonte clairement aux Normands qui conquirent la Sicile entre 1061 et 1091. En plus d’Alfred Joseph Sr, né en 1882, ils eurent un fils plus âgé et une fille plus jeune, qui devint religieuse, Suor Francesca.
Tout jeune homme, Alfred Joseph Sr, le père de mon mari, était un démocrate épris de laïcité et participa aux luttes politiques qui déchirèrent la Sicile à la fin du XIX siècle.
la famille maternelle (Lupo - Cardinale)
Son fils aîné, Carlo, le petit gaçon qui à l'âge de quatre ans avait marché de Baton Rouge à Chicago, devint boxeur professionnel sous le pseudonyme de Charlie Kid Lucca, et devint Champion du Canada des poids welters.
la famille, l'enfance
Alfred Sr, le chef d’orchestre, épousa Catherine (Callida) Lupo, la soeur de Charlie Kid Lucca, à Chicago en 1916. Ils eurent quatre fils, dont mon mari fut le deuxième. L’aîné, Sebastian, naquit en 1917 - lui aussi un futur professeur de sciences politiques, futur expert de Machiavel et lauréat du Prix Pulitzer. Alfred arriva en 1919. Il fut suivi par Edward en 1927, futur avocat, expert du Premier Amendement (celui de la liberté de parole) et co-fondateur de l’école de Droit Benjamin Cardozo de l'Université Yeshiva à New York City; le quatrième, Victor, futur vice-gouverneur de l’état d’Illinois, naquit en 1929.
Ils grandirent tous dans un appartement au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de brique à Hill Street à North Chicago, en face de Seward Park, et pas trop loin de Death Corner... mais dans un quartier somme toute paisible qui était alors surtout peuplé d’immigrés allemands, polonais et suédois.
Ces quatre garçons qui devaient connaître une réussite remarquable grandirent dans une atmosphère résolument laïque, ce qui était rare aux Etats-Unis à l'époque, mais moins à Chicago qu'ailleurs, car nombre de réfugiés politiques venus d'Europe, de tendance socialiste, s'y étaient établis durant la seconde moitié du XIXème siècle, après l'échec des révolutions de 1848. Leur père ne dédaignait pas de jouer dans des cérémonies religieuses, mais il avait interdit que ses fils mettent le pied à l'église. Ils ne furent pas baptisés (mais il est possible que leur mère les fit baptiser en cachette...)
Hill Street est composée de maisons mitoyennes de deux ou trois étages; la moitié du pâté où se situait la maison des de Grazia a fait place à une école catholique privée, mais la moitié qui en subsiste est représentative des maisons de l'époque.
Seward Park, en face de la maison, abritait une bibliothèque municipale et Alfred, mon mari, dès son plus jeune âge, en fit intensivement usage. A l’âge de dix ans, il avait lu tous les livres pour enfants (“imagine toute la merde que je me suis tapée!”) et il demanda l’autorisation d’accès aux sections pour adultes. Les bibliothécaires le soumirent à un examen pour s’assurer qu’il avait vraiment tout lu. Il passa l’épreuve et obtint l'accès aux sections pour adultes.
Son père lui fit apprendre la trompette, et lui fit même diriger son orchestre une fois ou deux. Mais avec son frère Sebastian, pendant les concerts de promenade de musique classique dirigés par leur père sur le Navy Pier, il préférait se faufiler du côté "interdit" des tentes où des musiciens Noirs jouaient une musique entièrement nouvelle: le Chicago Jazz.
Comme pour d'innombrables familles américaines, la situation économique devint difficile pour le couple de Grazia et leurs enfants durant la Grande Dépression des années 1930, qui s'ajouta à l'effet dévastateur qu'eut pour la profession musicale l'avènement de la musique enregistrée. Alfred, le précoce, quitta le nid le premier... à l'âge de quatorze ans.
Sebastian et Alfred à Chicago, en 1920
Les mêmes, 79 ans plus tard (Alfred à g.), en décembre 1999, à Princeton, New Jersey, Battle Road.