Alfred de Grazia - le soldat

  • alfred de grazia - 1942
  • Alfred de Grazia - 1942
  • Alfred de Grazia 1942

Jill et Alfred venaient d’entrer au Café Steinway pour prendre un brunch tardif, le 7 décembre 1941, un dimanche, lorsqu’ils entendirent à la radio les annonces de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor.

En février 1942, Alfred de Grazia fut mobilisé dans l’Armée US. Il subit des mois d'entraînement dans le Tennessee puis à Paris, Texas. On l’affecta à une unité de ballons de barrage. Il suivit un entraînement de combat de désert dans la Vallée de la Mort, en Californie. 

Il gravit les échelons, fut fait lieutenant et épousa Jill Oppenheim à Chicago durant une permission, lors d’une petite cérémonie à laquelle assistèrent seulement les parents d’Alfred et un membre de son régiment, Hank Dannenberg, qui disparut après la cérémonie. Il confia Jill à ses parents et retourna en caserne.

l'OSS

  • Alfred de Grazia
  • Alfred de Grazia
  • Alfred de Grazia
  • Jill Oppenheim - Camp Ritchie, 1943
  • Jill Oppenheim - Camp Ritchie, 1943

Presqu'aussitôt, un événement surprenant se produisit, qui allait tout changer: Alfred fut appelé à Washington, D.C., afin de rejoindre l’OSS (Office of Strategic Services) qui venait d’être créé par William J. Donovan (Wild Bill Donovan), pour se joindre à la toute nouvelle Unité de Guerre Psychologique (Psychological Warfare), en formation à Camp Ritchie, dans le Maryland, (qui s'appellera plus tard Camp David), devenant ainsi l'un des tout premiers "Ritchie Boys." 

Avec quelques compagnons officiers, il aida à organiser la première Compagnie d’Emissions Radio Mobile de l’Armée des Etats-Unis, qui deviendrait le modèle pour toutes les autres. Il travailla avec le poète d’origine allemande Peter Viereck, avec Martin Herz, l’écrivain journaliste germano-hongrois Hans Habe, et il retrouva Klaus Mann, le fils de Thomas Mann et beau-frère de Giuseppe Borgese. Jill vint le rejoindre pendant quelques jours dans les bois de Camp Ritchie...



Afrique du Nord et Sicile

Quand il embarqua à Newport News en Virginie pour rejoindre les opérations en Afrique du Nord en avril 1943, Jill était enceinte. Le convoi traversa l’Atlantique sous la menace des sous-marins allemands. Il mit pied à terre à Oran et fut affecté à la Huitième Armée Britannique comme officier de liaison. 

Il passa plusieurs mois à capter et envoyer des messages de propagande radio depuis Oran, Alger et Tunis, durant la campagne d’Afrique du Nord. Ils captaient, entre autres, les messages pro-fascistes et pro-nazis d'Ezra Pound.


  • Alfred de Grazia 1943 - British Eighth Army, North Africa
  • OSS Hans Habe, Alfred de Grazia, Peter Viereck, unknown, Tunisian well, 1943

Sur la photo de groupe: 2ème rang, dernier à droite; sur la photo du puits tunisien, de g. à dr.: Hans Habe, Alfred, Peter Viereck, inconnu). 


Alfred au képi, assis.
Victor de Grazia, age 14, Jill de Grazia, Edward de Grazia, 1943
Pendant ce temps, à Chicago, les petits-frères, Victor (à g., 14 ans) et Edward (16 ans), protègent Jill.

Alfred participa au débarquement allié en Sicile, débarquant près de la fontaine d’Aréthuse à Syracuse (Opération Husky)

Il créa aussitôt le premier quotidien allié en territoire libéré d’Europe, le Corriere di Siracusa ("Courrier de Syracuse"), quatre pages d’informations pratiques urgentes, deux en italien, deux en anglais. (Il répétera l'exploit avec le Corriere di Palermo l’année suivante). 

Durant les mois qu’il passa en Italie, il travailla en étroite collaboration avec l’MI6 britannique (Military Intelligence Section 6) et particulièrement avec le Major Ian Greenlees, qui devint son ami - héritier d’une famille écossaise de distillateurs de whisky et amant de l’écrivain britannique Norman Douglas avec lequel il vivait avant la guerre à Capri... Durant toute la durée de la guerre, Alfred échangea des lettres presque quotidiennes avec Jill, qui le tenait au courant de l’évolution de sa grossesse et de la vie à Chicago, et des nouvelles du front domestique. Jill avait été une journaliste à Coronet Magazine et elle était une épistolière hors de pair. Cette correspondence a été publiée par Alfred et moi-même sur Internet dès 1997 sous Letters of Love and War. C'est un honneur pour moi d'y avoir contribué. Jill était une grande amie pour moi aussi.

Bataille de Monte Cassino - Rome

  • alfred de grazia battle of monte cassino
  • Alfred de Grazia Monte Cassino 1943

Alfred prit ensuite part à un second déparquement, celui de Salerne (Opération Avalanche), dans la Baie de Naples (il en fera quatre, en cinq campagnes). Il se retrouva pour l’hiver dans les montagnes des Abruzzes, à la bataille de Monte Cassino, procédant à des opérations de reconnaissance et bombardant de tracts les positions allemandes, il dormait sous une tente dans la boue, sous la pluie glaçante des montagnes. 

De sa propre intitiative, il écrivit un rapport pour le Quartier Général Allié, déclarant que d’après son expérience et ses investigations, il n’y avait pas de présence militaire allemande à l’intérieur de l’Abbaye. Nulle attention ne fut accordée à son rapport, mais le fait fut vérifié après la guerre.(Hapgood and Richardson, 1984: les investigations révélèrent que les seules personnes tuées dans le monastère après le bombardement allié était 230 civils italiens qui s’y étaient réfugiés.) 

Dans les derniers jours de 1943, à la veille de son 24ème anniversaire, Jill donna naissance à leur fille, Catherine. Il dut attendre deux semaines pour que la nouvelle lui parvienne, et encore lui annonça-t-on un fils par erreur.

Il assista à la destruction de l’Abbaye de Monte Cassino par les bombardements alliés le 15 février 1944. Il fut envoyé soutenir les opérations du débarquement à Anzio (Opération Shingle) puis fut affecté au Quartier Général allié de Caserta

Il remplit une mission spéciale solitaire en Sardaigne, pour contacter Mario Berlinguer (père de Enrico, le futur SG du PCI...) pour organiser la résistance contre les nazis, et mettre la main sur des troupes encore en caserne, qui pouvaient rejoindre les armées alliées. Il accomplit d’autres missions en Sicile, et fut le premier Américain à entrer à Bari, en compagnie du Major Greenlees.

En compagnie de son chauffeur, l’écrivain italien exilé aux USA Alfredo Segre, il porta secours aux écrivains Alberto Moravia et Elsa Morante qui se terraient dans le région de la Ciociara aux alentours de Rome, craignants les déprédations et les viols exercés par les troupes coloniales françaises (goumiers)

Il les aida à rejoindre Caserta et Naples. Quelques semaines plus tard, après la libération de Rome, il se retrouva responsable des autorisations de tournage pour le cinéma italien (et assailli de starlettes...) Elsa Morante l'assista et le guida: c’est ainsi qu’il délivra à Roberto Rossellini l’autorisation de tourner Païsa, le grand film sur la résistance italienne et l'avancée Alliée. 

Le Major Greenlees l'emmena dîner avec Palmiro Togliatti. Et aussi Renato Guttuso. Greenlees se spécialisait dans les communistes. (En 1957, Alberto Moravia publiera son roman La Ciociara, inspiré par son expérience de cette période, qui deviendra aussi un film.)

Alfred avec des patriarches sardes
Major Ian Greenlees, 1st left
Une rare photo du Major Greenlees, du MI6, 1er à gauche. 


  • Alfred de Grazia Caserta Allied HQ 1944
  • Alfred de Grazia Caserta Allied HQ 1944
  • Alfred de Grazia Caserta Allied HQ 1944
A Caserta, QG des Alliés


Alfred de Grazia sailing towards Provence landing - 1944
En mer avant le débarquement en Provence

la France

Alfred de Grazia


En août 1944, Alfred participa au Débarquement de Provence, mettant pied à terre près de Saint-Tropez. Il participa à la libération de Toulon et de Marseille, coordinant des opérations avec la Résistance française. Pour ses actions, il lui fut attribué la Croix de Guerre française 1939-1945. Il écrivit à sa femme cette description magnifique:

"Le lieutenant Samarselli n'a pas dormi de la nuit. C'était sa première nuit en France depuis trois ans et il était trop excité pour dormir. Les Français sont comme ça, maintenant, pas trop excités pour se battre, mais presque. L'autre jour j'étais avec un batterie française installée près de Toulon. Nous venions de capturer l'emplacement sur lequel ils étaient installés et il y eut des célébrations tous azimuts au milieu de la bataille. Il y avait plusieurs fermes et les familles et les soldats mangeaient par roulements à une grande table dressée dehors sous un arbre. Le vin était bu dès qu'il arrivait sur la table et les rations étaient dispersées partout, avec des jattes de tomates fraîches et de pommes frites ici et là. D'une main ils faisaient la guerre et de l'autre, ils célébraient la libération de la France. Le canon était monté à même pas dix mètres et il tonnait sans arrêt par-dessus la tête des célébrants. Le capitaine de la batterie venait prendre un verre de vin et une poignée de frites et puis il courait à son poste de commande quelques mètres plus loin pour donner l'ordre de tirer. Cela a continué pendant des heures, jusque dans la nuit. Les canons martelaient les Allemands ahuris qui contrattaquaient sans effet, les dîneurs se levaient et d'autres venaient prendre la relève. Les Sénégalais suaient sang et eau, faisant des va-et-vient dans leurs camions et nourrissant les tas de munitions, avec de larges sourires, dansant presque dans leur excitation et leur enthousiasme au travail. Un feu de forêt qui s'était déclaré sur une colline dans les parages illumina le ciel comme il commençait de faire sombre et les tirs des howitzers éclairaient de plus en plus fort. Les vignes étaient couvertes de poussière, les raisins étaient écrasés sous les grandes roues et piétinés sous les bottes. Mais personne ne s'en souciait - c'était des pieds français et des roues françaises. Les Français se libéraient eux-mêmes."


Il suivit l’avancée alliée le long de la Route Napoléon, vers le nord à travers les Alpes et Grenoble. Il traverse le Vercors et écrit à Jill:

 [Les Allemands] ont marché d'un village à l'autre, les brûlant jusqu'aux fondations et massacrant les habitants, hommes, femmes et enfants. Ils violèrent et pillèrent avec cette étrange conviction tordue qu'ont les Allemands qu'une brutalité ordonnée et complète fait partie d'un bon gouvernement. Des maisons vides, des murs qui pointent comme des doigts noirs décharnés vers les ciel bleu et les montagnes vertes, des rangées de tombes, c'est tout ce qui reste. Nombre de jeunes hommes se cachaient alors dans les montagnes et ils auront leur mot à dire sur le sort des Allemands. 


Il monta jusqu'en Lorraine, à Hériménil, où il resta quelques semaines, et d'où il fut tiré brutalement par la contre-attaque allemande de la Saint-Sylvestre 1944 sur l'Alsace du Nord et la Lorraine (Opération Nordwind).


  • Alfred de Grazia Herimenil noël 1944
  • Alfred de Grazia Herimenil Chritmas 1944
Noël 1944 à Hériménil, Meurthe-et-Moselle

l'Allemagne

Il prit part à l’invasion de l’Allemagne en 1945. Il dirigeait maintenant le Département de Propagande de Combat de la Septième Armée des Etats-Unis. Il pratiquait aussi l'interrogation des prisonniers. Une partie de son job était de faire le plus grand nombre de prisonniers possible, en bombardant l'ennemi avec des tracts et des sauf-conduits (avec la signature d'Eisenhower) leur promettant la vie sauve s'ils se rendaient. Du point de vue éthique, Alfred avait beaucoup de chance: il sauvait des vies - celles des nombreux soldats Allemands qui parvenaient à se faire constituer prisonniers et, indirectement, il améliorait les perspectives de survie des soldats alliés, pour lesquels un ennemi prisonnier valait un ennemi mort.

  • Gutenberg Special - 1944 -7th Army US
  • Gutenberg Special 7th Army US - inside
Le "Gutenberg Special" était un camion-imprimerie dessiné par Al qui permettait de créer partout, rapidement, des tracts, des sauf-conduits en grand nombre etc. dont on pouvait bombarder l'ennemi au moyen de howitzers. Le seconde image le montre débâché.  


Alfred de Grazia Heidelberg 1945
A Heidelberg

Alfred établit ses quartiers au château de Strassberg, près d'Augsbourg, en Bavière. Il travailla avec le journaliste allemand, devenu citoyen américain, Hans Wallenberg et prit part avec lui à l'arrestation et à l'interrogation de plusieurs personnalités nazies éminentes, dont Leni Riefenstahl. (Wallenberg lui-même arrêta et interrogea Hermann Göring.) Alfred arrêta personnellement le numéro quatre de la hiérarchie nazie, Robert Ley, qui dirigeait la Deutsche Arbeitsfront (Front Allemand du Travail). 



Alfred de Grazia - libération du camp de Dachau - 1945

Alfred pénétra dans le camp de concentration de Dachau dès le 1er ou le 2 mai, immédiatement après sa libération, avant que les piles de cadavres n’aient pu être évacués. 

  • arrestation de Hermann Goering par Hans Wallenberg 2ème à partir de la droite
  • arrestation de Hermann Goering par Hans Wallenberg
Hans Wallenberg (2ème à partir de la droite) arrêtant Hermann Göring... qui monte dans un véhicule militaire américain.


le château de Strassberg


Renversement des rôles: dans un sketch, Hans Wallenberg, en petite tenue, joue à être arrêté. 
  • danse with nurses 1945
On attend les infirmières. Elles arrivent...


Strassberg: La guerre est finie: distribution de la dernière solde


  • Jill Oppenheim de Grazia with Cathy 1945
  • Jill Oppenheim de Grazia and Cathy 1945
A Chicago, Jill et Cathy attendent

Alfred refusa l'offre de Wallenberg de joindre les forces d'occupation alliées à Berlin. Il avait hâte de rentrer. Il retourna à Chicago en septembre 1945 et noua connaissance avec sa fille, Cathy. Il fut démobilisé quelques mois plus tard.



Alfred de Grazia & Cathy
Liant connaissance avec Cathy